Par où commencer ? Si je trouve une réponse à cette question, cela voudrait dire que j’ai déjà la solution et que ce billet n’a pas lieu d’être. Seulement, je n’arrive plus à savoir par où commencer, ni par où tout cela a commencé.
Personne ne travaille depuis plus d’une année. Moi compris. Tout le monde s’est improvisé enquêteur, journaliste, analyste, écrivain, observateur, conseiller, consultant et politicien. Tout le monde moi compris.
Il fut un temps où nous nous sommes improvisés entraineurs d’une équipe de football. 11 millions d’entraineurs pour une seule équipe. Mais notre équipe n’a pas remporté de médaille pour autant.
Aujourd’hui nous sommes 11 millions d’enquêteurs. Nous détenons tous la science infuse, LA vérité qui tue, le scoop, l’info, le dossier brûlant. Nous fouillons partout, nous déterrons la merde et nous nous plaignons de la puanteur. Peu de personnes supportent la puanteur, mais beaucoup la fouillent. Nous sommes 11 million de fouille-merdes.
Aujourd’hui nous sommes 11 millions de journalistes. Nous publions tous des articles et nous réclamons des droits de réponses à nos propres déblatérations. Nous démontrons, dénonçons, synthétisons et publions chacun à qui mieux mieux. Un blog par-ci, un journal par là, une revue de l’autre côté et parfois, quand la chance nous sourie, nous sommes même reconnus à grande échelle et invités en tant que journaliste de renommée. La catégorie ayant le vent en poupe étant celle du journalisme-citoyen.
Aujourd’hui nous sommes également 11 millions d’analystes. Nous analysons tout : les faits, l’info, les intox, le sang des uns et des autres. Nous tirons sur tout ce qui bouge et nous oublions les conclusions. Tout est bon à analyser : les opinions, les directions, la pensée et même les personnes qui nous entourent. Nous avons pourtant oublié comment analyser les matchs de foot. Grosse perte !
Aujourd’hui, nous sommes tous des écrivains. Nos plumes toujours retroussées, rouillées ou bien entretenues dessinent à tout va des mots. Mais surtout des insultes. Truffées de fautes. Nous noircissons aussi rapidement les pages que les réputations. Nous vendons nos lignes au kilomètre. Et tant pis si nous n’avons plus d’encre, car nous avons toujours notre salive à la rescousse. Enfonçons donc nos plumes dans nos langues. Même pas mal !
Aujourd’hui, nous sommes observateurs aussi. La découverte de l’année 2011 que ce terme fantastique englobant toutes les facéties possibles et imaginables de la critique aisée et de la gueule puante. Chevaliers désarmés, nous regardons tout ce qui se produit devant nous, et nous ne bronchons que pour cracher sur tout ce qui diffère de nous. Nous sommes les experts de l’observation des réseaux sociaux, des nouveaux médias et des médias classiques aussi. Nous sommes les experts des élections, des instances, des partis politiques, du droit, des amendements et du futur (n’en déplaise à certains !).
Et comme nous savons très bien que nous sommes des êtres supérieurs, dotés de beaucoup des qualités citées ci-dessus, nous nous sommes donc autoproclamés conseillers. Enorme. Nous avons tellement d’expérience que nous conseillons les pays voisins, nos amis proches et moins proches et mêmes les gens qui nous sont étrangers. Nous ne sommes pas donneurs de leçons, mais nous sommes conseillers, parce que nous, nous l’avons faite la révolution. Toute la révolution, du début jusqu’à la fin. Nous savons mieux que quiconque de quoi elle relève et ce qui en découle.
Je fatigue déjà, que je n’ai plus envie de poursuivre avec les autres fonctions des 11 millions qui restent. Alors pour faire simple, je saute directement à la conclusion pour dire que nous sommes 11 millions de putes. Oui des putes ! Et ne venez pas me dire que cela ne se dit pas et qu’il faudrait mieux employer le terme « prostituées ». Vous les experts, les journalistes, les conseillers, les observateurs.
Nous sommes 11 millions de putes à la langue bien pendante (et non pendue) qui puons le rance et la merde. Nous en avons bouffé de la merde et nous ne cessons de nous roter à la gueule les uns les autres. Nous sommes 11 millions de putes enragées et assoiffées de pouvoir et de reconnaissance. Reconnaissance au sein de nos familles, de nos collègues, de nos quartiers. Reconnaissance dans nos cercles d’amis virtuels, au sein des experts et des analystes. Des publicistes et des gens des médias, des employés du secteur public ou privé, des enseignants, des chercheurs, des chômeurs et des pique-assiettes. Des artistes et des penseurs, des bourgeois et va-nu-pieds. Nous sommes une honte pour le plus vieux métier du monde. Et les vraies putes rasent les murs aujourd’hui parce que nous salissons leur métier et leurs carrières.
Nous sommes 11 millions de putes et nous n’avons même pas appris à faire notre métier de pute correctement. Car nous tapinons tous sur le même trottoir, dans le même quartier, sous le même porche. Nous sommes 11 millions de putes et nous utilisons le même préservatif tous les jours depuis un an, les mêmes bas filés, le même fard trop sombre, les mêmes chaussures écorchées. 11 millions de putes qui ne trouvent pas de clients. Nous sommes 11 millions de putes incestueuses, car nous nous baisons les uns les autres. Nous nous violons les uns les autres. Nous finirons tous, avec nos descendances, débiles et tarés car nous serons 11 millions de putes consanguines.